Ça se passe à… Cognac - Au pays du cognac, le domaine Abel Lorton fait le pari du vin issu de cépages ancestraux

Il y a 2 années 1024

Le vignoble cognaçais est reconnu pour son eau-de-vie, le cognac, et un cépage, l’ugni blanc. Xavier et Fabrice Guiberteau, vignerons propriétaires du domaine Abel Lorton à Montendre (17), prennent le contre-pied du binôme hégémonique de la région en élaborant des vins à partir de cépages oubliés.
 

En France, cinq variétés représentent à elles seules près de la moitié des surfaces de vigne. Merlot, ugni blanc, grenache, syrah et chardonnay constituent le haut du classement des cépages. Dans cette liste, l’ugni blanc se distingue par sa répartition singulière centrée sur un unique bassin de production : le vignoble charentais.

Spécialisée dans la production de cognac, la région s’est au fil du temps approprié le cépage d’origine italienne. Au point que les trois quarts des vignes d’ugni blanc au monde sont aujourd’hui plantées sur deux départements français : la Charente et la Charente-Maritime. Avec sa bonne productivité, sa faible teneur en sucres et son acidité élevée, il réunit des qualités appréciées par les viticulteurs et les distillateurs. Désormais, l’ugni blanc représente 98% des surfaces.

Mais ça n’a pas toujours été le cas, indique Fabrice Guiberteau du domaine Abel Lorton, une propriété comptant 15 ha de vignes situées à Montendre (17) et classées en bons bois dans la hiérarchisation des crus de cognac.

Pendant près de cinq ans, j’ai fait des recherches sur l’encépagement passé de la région. Dans les archives de la Bibliothèque nationale de France je suis remonté jusqu’au XVe siècle ! L’Aunis et la Saintonge étaient alors des gros bassins de production de vins qui partaient dans toute l’Europe à partir du port de La Rochelle. Les vins étaient extrêmement réputés pour leur qualité mais furent à terme victimes de leur succès commercial engendrant une baisse qualitative et une surproduction.

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, il y avait une grande diversité de cépages dans la région. La standardisation est venue ensuite, avec la spécialisation du vignoble dans la production de vins pour le cognac.

Avec mon frère, nous avons la volonté de montrer que nos terroirs ont le potentiel qualité pour créer de grands vins.


Retrouver la diversité passée

Dans cette quête, Xavier et Fabrice Guiberteau ont replanté des cépages typiques de la région au XVIIIe siècle. Balzac noir, crouchen blanc, chauché gris, counoise noire, baroque… autant de variétés oubliées, même des plus anciens du territoire.

Cette diversité a disparu de la mémoire collective, constate Fabrice Guiberteau. Avec l’appui du conservatoire du vignoble charentais de Richemont, nous avons néanmoins pu récupérer des plants en sélection massale. Je suis allé aussi chercher des plants dans d’autres vignobles de France. 

Derrière les dénominations locales des cépages oubliés à Cognac, se cachent parfois des variétés connues ailleurs. Le mystérieux chauché gris s’est révélé être du trousseau, un des cépages aujourd’hui associé au vignoble du Jura. La counoise est un cépage rare, originaire d’Espagne, mais que l’on retrouve encore dans certaines appellations du sud de la France.

Le crouchen blanc fait partie des cépages ancestraux de la région de Cognac planté au domaine Abel Lorton (S.Favre)

Sur 2 ha plantés il y a trois ans, les propriétaires du domaine Abel Lorton reconstituent une diversité passée en sélectionnant les cépages qui s’adapteront le mieux aux conditions climatiques d’aujourd’hui et de demain.

Dans la multitude de cépages ancestraux identifiés, nous avons choisi les cépages les plus tardifs.
Sur les premiers retours d’expérience, certains semblent avoir un bon comportement vis-à-vis du mildiou. Mais ces appréciations sont à mettre en regard avec la vigueur et le rendement que nous visons, autour de 40 hl/ha. Avec cette conduite, même nos vignes d’ugni blanc apparaissent moins sensibles ! 


Fabrice Guiberteau dans le chai du domaine Abel Lorton (S.Favre) Des vins jamais bus !

Dans le projet porté par Xavier et Fabrice Guiberteau, les cépages couramment utilisés à Cognac et dans le vignoble voisin de Bordeaux ne sont pas exclus. Les plus vieilles parcelles d’ugni blanc, plantées en 1944 issues de sélection massale réalisée par l’arrière-grand-père des deux frères, côtoient du cabernet franc et du cabernet sauvignon. Huit cépages rentreront dans les futurs assemblages des vins du domaine Abel Lorton.

Du côté de la vinification, la logique est aussi à retrouver certaines façons de faire du XVIIIe siècle. 

Nous travaillons en vendanges manuelles, tri sur table, vinification en cuves de 10 hl, levures indigènes pour la fermentation alcoolique, élevage en amphores d’argile. La fermentation malolactique se déclenche naturellement au printemps. Nous utilisons très peu de sulfites et nos cuves ne sont pas thermorégulées.

Bouteille du vin blanc du domaine Abel Lorton élaboré à partir d'ugni blanc et de cépages oubliés dans le vignoble de cognac (S.Favre) Nous souhaitons intervenir le moins possible, résume le vigneron qui se réjouit à la dégustation des premiers vins du domaine. Ils sont comme nous le souhaitons : singuliers, équilibrés, complexes. Et nos « objets vinicoles non identifiés » comme j’aime à les surnommer plaisent. 


Florent Barrère, président de Barrère & Capdevielle, une maison de négoce bordelaise spécialisée dans l’importation « de vins d’exception », va commercialiser les vins du domaine charentais sur le marché français.

D’ici deux ans, avec l’augmentation des surfaces dediées, 10 000 à 15 000 bouteilles de vins devraient sortir chaque année des chais du domaine Abel Lorton.

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