Alcool et cancer - Les facteurs de comorbidité ne doivent pas être négligés

Il y a 2 années 649

La deuxième édition des rencontres Vin et Santé a été l’occasion pour les invités de débattre sur le thème « Le vin : ni diable ni bon Dieu ». Le gastro-entérologue Jean-Frédéric Blanc est revenu sur le risque relatif de développer un cancer et la notion d’universalité.

D’après l’Institut national du cancer, les cancers dont le lien avec la consommation d’alcool est avéré sont au nombre de sept. Ils touchent le sein, le colon, le foie, l’œsophage, le rectum, le larynx et l’oropharynx. « D’un point de vue biologique, on le sait, l’alcool induit des cancers », introduit Jean-Frédéric Blanc, gastro-entérologue, hépatologue et chef de service au CHU de Bordeaux, lors de son intervention aux rencontres Vin et Santé 2021. « L’éthanol est métabolisé dans le foie, puis dégradé en produits toxiques. Ces substances sont capables de provoquer des mutations dans les gènes qui contrôlent la prolifération des cellules. Si les cellules prolifèrent de façon incontrôlée, c’est le cancer qui apparaît. Mais c’est un événement rare. » Il existe de nombreux mécanismes de réparation et de contrôle dans les cellules et en dernier ressort, le système immunitaire élimine les cancers. « La probabilité de développer une tumeur est heureusement faible car on est en permanence soumis à des toxiques qui favorisent les cancers », explique Jean-Frédéric Blanc. Néanmoins, chaque individu peut augmenter sa probabilité de déclencher un cancer.

Un facteur de risque difficile à évaluer

Pour expliquer ce phénomène, le docteur fait une analogie avec le loto. « Si vous faites une grille par an, vous pouvez gagner, mais les chances sont faibles. Si vous jouez dix grilles par jour ou cent grilles tous les week-ends, la probabilité de gain augmente. Cet exemple illustre la notion de dose/intensité. Plus la dose et la durée d’exposition sont importantes, plus le risque que le cancer survienne est fort. C’est très bien documenté pour l’alcool. La complexité vient du fait que l’on ne sait pas à partir de quelle dose il va y avoir toxicité, surtout à l’échelon de l’individu. Car la toxicité de l’alcool dépend de nombreux paramètres. » Parmi lesquels la capacité de réparation intracellulaire des mutations, la vitesse de dégradation de l’alcool et des produits toxiques métabolisés, la composition du microbiote intestinal… « On n’a pas tous les mêmes bagages génétiques et enzymatiques », indique le médecin. D’autant qu’il faut rajouter à l’équation l’âge, les conditions sociales ou encore la condition physique de chaque individu. « Le risque n’est pas universel », insiste le spécialiste.

Néanmoins, les services de santé publique cherchent à estimer un risque relatif de cancer à l’échelle d’une population et à déterminer le nombre de morts attribuables à la consommation d’alcool pour appuyer les campagnes de prévention contre les méfaits de l’alcool sur la santé.

L’incertitude liée aux déclarations de consommation

Des études cas-témoins sont utilisées afin de mettre en évidence des facteurs pouvant contribuer à l’apparition d’une maladie. Les chercheurs comparent des sujets atteints de cette maladie (les cas) avec des sujets qui ne le sont pas (les témoins). Dans le cas d’un cancer attribuable à l’alcool, les deux cohortes vont être sondées sur leur consommation. « On détermine alors un risque relatif de développer un cancer en fonction du niveau de consommation d’alcool. Cela semble simple, mais c’est très compliqué. Notamment car la consommation d’alcool, quand elle est déclarative, est souvent sous-estimée. Par ailleurs, l’alcool n’est qu’un des facteurs de risque de cancers. Chaque facteur ayant un poids qui dépend de la population sélectionnée. Donc, pour dix études cas-témoins avec dix cohortes différentes, on aura dix résultats différents, parfois contradictoires. Une solution pour obtenir une meilleure force statistique consiste donc à prendre toutes les études cas-témoins et à les observer sous forme de méta-analyses, reprend Jean-Frédéric Blanc. C’est acrobatique car on part de données discordantes pour avoir une donnée concordante. Le risque relatif qui émane de ces analyses n’est pas très sûr, surtout pour les faibles consommations d’alcool. » Il en ressort néanmoins des courbes indiquant un risque relatif général en fonction de la consommation, repris dans les messages sanitaires.

Des facteurs de comorbidité à prendre en compte

Dans le cas du cancer du sein, il est par exemple fréquent de lire que la consommation d’un verre d’alcool par jour (environ 10 grammes d’alcool) augmente le risque relatif de cancer du sein pré-ménopausique de 5 % et le risque relatif de cancer du sein post-ménopausique de 9 %. « Pour une femme française de 40 ans le risque relatif de faire un cancer du sein est de 4 %. Si on augmente ce risque de 5 %, le risque relatif passe à 4,2 %. Quand on présente les résultats de l’étude en disant que 5000 cancers du sein sont imputables à un verre d’alcool, c’est un message qui, médiatiquement, “passe”. Mais si l’on dit qu’en buvant un verre de vin par jour, le risque relatif passe de 4 à 4,2 %, je ne suis pas sûr que l’information fasse la une des journaux. Il faut se méfier de la présentation et de l’interprétation des résultats, prévient le docteur. Dans l’étude à l’origine des résultats précédemment cités, on parle d’une consommation d’alcool faible pour laquelle il est plus compliqué d’établir un risque relatif comme je l’expliquais. Par ailleurs, cette étude américaine est réalisée sur des femmes dont la majorité présente des comorbidités comme l’obésité. On ne retrouve pas ces chiffres dans les études européennes. »

En argumentant sur le cancer du foie, l’hépatologue Jean-Frédéric Blanc insiste sur la nécessité de regarder l’ensemble de facteurs de risque. « En France, sur les données 2015, on attribue 70 % des cancers du foie à l’alcool. J’ai fait une étude sur la base de données SNDS en étudiant tous les malades du cancer du foie détectés sur la période 2015-2017. Cela représente 21 000 cas. La part de cancers imputable à l’alcool est, selon notre travail, de 42,7 %. Et dans plus de la moitié des cas, l’alcool est associé à un autre risque majeur de cancer qu’est l’obésité. L’alcool seul ne représente que 20 % des cas et non 70 %. Le message de Santé publique France n’est pas faux, conclut le docteur Jean-Frédéric Blanc. Dès que l’on boit de l’alcool, le risque de cancer augmente. Mais il est dramatisant et il pourrait être largement nuancé. »

Pour visionner l’intégralité des conférences des rencontres Vin et Santé 2021 : www.laciteduvin.com/fr/2eme-rencontre-vin-sante-le-vin-ni-diable-ni-bon-dieu

Article paru dans Viti 460 d'avril 2021

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